OPÉRATION DE POLICE
LE 21 MAI 1944
AU DRESNAY EN LOGUIVY-PLOUGRAS

[ 81e visite]


Le village du Dresnay en Loguivy-Plougras est situé à 5km du bourg, à 4km du bourg de Loc-Envel, à 8km du bourg de Plounévez-Moëdec et à 7km du bourg de Plougonver qui sont les communes les plus proches. Il est à l'écart des axes routiers, c'est un village très isolé.
Au recensement de 1936, il y avait au Dresnay avec ses hameaux des alentours 80 foyers pour 357 individus.
Avant-guerre il y avait une école publique avec un instituteur et une institutrice, un boulanger, un forgeron, un bucheron, deux commerces avec débit de boissons, un facteur.
La population vivant essentiellement d'agriculture et d'élevage.


le monument et
la chapelle du Dresnay


Le 21 mai 1944
Le village du Dresnay en Loguivy-Plougras et ses environs sont isolés et encerclés à l'aube par des centaines de militaires allemands, certains avancent le nombre de plus d'un millier de soldats et miliciens, 14 autocars de couleur bleue ont été dénombrés.
"Il y avait des Allemands et des miliciens partout" c'est la phrase qui revient le plus souvent, des unités de la wehrmacht de la 266e DI, le SD (Gestapo) et comprend des éléments de la milice de Vichy et des miliciens autonomistes bretons, secondés par les feldgendarmes de Plouaret.
L'équipement qui accompagne cette troupe est impressionnant, toutes sortes d'armes et de matériels, automobiles, camions, chariots... et des chiens.
Tous les hameaux et la campagne autour du Dresnay sont passés au crible, il est possible de pénétrer dans cette zone, mais il est impossible d'en sortir.
Madame LE GUYADER qui habite à côté de la chapelle du Dresnay se souvient de voir "un mur" de soldats allemands autour des champs qui entourent sa maison.
De nombreux habitants sont arrêtés et rassemblés dans la cour de l'école communale du hameau, certains sont relâchés après un interrogatoire et un contrôle d'identité.
Treize d'entre eux sont maintenus en état d'arrestation, ils sont interrogés de la manière la plus brutale et bestiale dans l'une des classes de l'école, les habitants du Dresnay entendent les cris de ces malheureux.
Parmi ces tortionnaires, plusieurs parlent le breton et portent un uniforme noir, ils accomplissent leur sale besogne sous la surveillance des militaires allemands.
A la suite de ces arrestations les troupes d'occupation se livrent à de nombreux vols dans trente endroits différents, le maire Jean-Marie CORLAY, nommé par Vichy, conseiller départemental, ancien notaire qualifiera ces pillages de chapardage ! Elles s'emparent de beurre, lard, vin, liqueur, andouille, pain, panne, porc, pétrole, vélos, œufs, économies... et on assiste à des scènes de pillages.
De nombreux habitants sont mis à contribution pour fournir la nourriture et préparer les repas des tortionnaires pillards, Madame LE GUYADER est emmenée chez les BESCOND le commerce du Dresnay pour éplucher des pommes de terre, des poulets sont tués puis cuits à la boulangerie de Jean QUERE au Dresnay, le tout sous la pression permanente des allemands et de leurs complices. Les repas sont servis chez les familles PENNEHOAT (forgeron) et BESCOND (commerçant) au Dresnay.
Aucune des treize personnes arrêtées n'est connue pour sa participation à la Résistance.
Tous les habitants du secteur sont persuadés qu'il s'agit d'une dénonciation, car les Allemands et leurs supplétifs étaient bien renseignés sur les habitudes de chaque famille.
Dans le secteur vivent plusieurs personnages troubles sans qu'il soit possible de mettre un nom sur un quelconque d'entre eux comme étant l'instigateur de cette dénonciation.
On a parlé aussi de toile d'un ballon captif (ballons chargés de faire tomber les avions Alliés allant ou revenant de Lorient lors des opérations de bombardements) récupérée et utilisée par certains.
Les treize malheureux quittent en camion dans la soirée le Dresnay en direction de Plougonver pour se rendre à Guingamp où ils passeront neuf jours à la maison d'arrêt. D'après les témoignages de Jean QUERE et de François PERSON seuls rescapés ils étaient enfermés dans une pièce, les repas leur étaient servis en entrebâillant la porte, à aucun moment ils ont pu voir les visages de leurs gardiens et à aucun moment ils ont entendu parler en allemand, par contre le breton était la langue la plus utilisée par leurs geôliers.
Le maire Jean-Marie CORLAY est sollicité par les familles afin d'intervenir auprès des autorités d'occupation, il refuse d'entreprendre cette démarche qui dans d'autres exemples fut déterminante pour faire libérer ses administrés, la population scandalisée par son attitude lui marquera son mécontentement en lui ôtant lors des cérémonies de la Libération son écharpe de maire.

départ vers une destination inconnue
Le 30 mai 1944, ils quittent la maison d'arrêt de Guingamp pour Rennes où ils sont internés au camp Marguerite, qui est un camp de regroupement avant le départ vers d'autres camps ou prisons de la région parisienne (Romainville, Compiègne, Fresnes..) :
Lucien AUGEL, père ; Lucien AUGEL, fils ; Robert AUGEL ; Armand BESCOND ; Jérôme GEORGELIN ; Yves Marie LE BOULCH ; Léon LEROUX ; Théophile OMNES ; Henri PENNEHOAT ; François PERSON ; Auguste PERSON ; Yves TOUDIC et Jean QUERE.
Jean QUERE, adjoint au maire à Loguivy-Plougras et boulanger au Dresnay, il est né le 4 novembre 1878 à Loguivy-Plougras, veuf avec trois enfants dont un est prisonnier de guerre en Allemagne, c'est un ancien combattant de 1914-1918. Il sera libéré de Rennes le 15 juillet 1944 du fait de son âge avancé et de son mauvais état de santé, il reviendra à pieds de cette ville jusqu'à Loguivy-Plougras, chaussé de sabots, il arrivera à la maison les pieds en sang.
Les douze autres quittent Rennes le 28 juin 1944 par le train en direction de Compiègne dans l'Oise, ils attendent dans ce camp la formation d'un convoi devant les emmener dans un camp de concentration en Allemagne.
François PERSON trop affaiblit par la maladie (il est atteint de la tuberculose) pour être envoyé travailler en Allemagne pour la machine de guerre nazie sera libéré de Compiègne et retrouvera sa terre natale, mais il décédera le 24 novembre 1944 à son domicile.
Les onze autres quittent Compiègne pour l'Allemagne, le trajet durant en moyenne selon les convois quatre jours à cent personnes debout dans des wagons à bestiaux, sans nourriture et sans boisson, en absence de toute hygiène, avec l'impossibilité de s'allonger, beaucoup n'arriveront pas à destination sombrant parfois dans la folie. A la descente des wagons en Allemagne l'accueil se faisant sous les coups, les hurlements des SS et des chiens.
Tous sont envoyés dans différents kommandos dépendants du camp central de concentration de Neuengamme en Allemagne près de Hambourg.
Jérôme GEORGELIN périra le 3 mai 1945 dans la Baie de Lübeck au large de Neustad, embarqué de force après l'évacuation du camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg sur le paquebot "Cap Arcona", les Alliés bombarderont ce navire croyant qu'il s'agit d'un navire transportant des allemands. De nombreux déportés périront noyés dans cette mer glacée, la mer Baltique.
Les corps de Lucien AUGEL père, Yves LE BOULCH et de Auguste PERSON reposent au cimetière du Struhtof (1) dans les Vosges aux côtés d'autres déportés dont les corps ont été rapatriés dans ce mémorial en provenance de différent camps de concentration.
Le corps de Henri PENNEHOAT repose dans le cimetière de Osterholz auprès de 1366 autres victimes.
Cette rafle se situe dans une longue série d'opérations de police sur le secteur :
- Callac-de-Bretagne le 9 avril 1944 (4 fusillés et 17 morts en déportation).
- Loc-Envel et La Chapelle-Neuve le 13 avril 1944 (5 fusillés et 1 mort en déportation).
- Plouaret, Le Vieux-Marché et Trégrom le 24 avril 1944 ( 7 fusillés).
- Belle-Isle-en-Terre le 5 mai 1944 (1 mort en déportation).
- Maël-Pestivien le 16 mai 1944 (2 fusillés et 2 morts en déportation et 2 massacrés sous la torture).
- Le Dresnay en Loguivy-Plougras le 21 mai 1944 (11 morts en déportation).
- Plounévez-Moëdec le 14 juin 1944 (3 massacrés et un mort en déportation).
- Trébrivan le 28 juin 1944 (11 morts en déportation)...
Cette rafle du Dresnay désorganise complètement la vie de certaines familles, Paul PENNEHOAT qui rêvait de faire des études est contraint de remplacer à 15 ans son frère Henri à la forge, on doit adapter l'enclume et un marteau à sa taille d'adolescent.
Soixante ans après, les marques de souffrance sont toujours resenties, et chacun s'interroge sans pouvoir répondre :
- Qui ?
- Pourquoi ?
(1) : le Struhtof était le seul camp de concentration et d'extermination implanté sur le sol Français, il est ouvert au public pour en visiter les installations.


Lucien AUGEL fils

Lucien AUGEL père

Robert AUGEL

Armand BESCOND
Jérôme GEORGELIN

Yves LE BOULCH

Léon LEROUX

Théophile OMNES
Henri PENENHOAT
Auguste PERSON
François PERSON

Yves TOUDIC